1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 00:00

Monsieur Fiore connaît ce parc.

Il y allait promener son chien blanc et roux le matin et le soir. Mais depuis que Rouille l'a quitté, il y va promener sa mémoire quotidiennement.

Une fois, il avait oublié ses lunettes et voyait tout flou. Sa myopie rendait le paysage plus impressionniste et ça lui plaisait à Monsieur Fiore.

L'Eté, il aime se lever encore plus tôt que le soleil. Et voir l'aube depuis le parc. Quand il n'y a pas encore ces tas de gamins. Quand les premières personnes qu'il croise sont des joggers, qui apparaîssent après 40 minutes sur un banc.

Il dit bonjour systématiquement. Sans forcément regarder la personne, souvent sans y penser. Cela fait un paquet de "bonjour" que personne ne lui a répondu, il pourrait s'arrêter, se décourager. Non, "bonjour" automatique. Contact humain minimum. "C'est le minimum de dire bonjour".

De temps en temps, il force un peu le destin et oublie encore ses lunettes. Cela lui arrive de plus en plus souvent. Ou un goût de plus en plus prononcé pour "les impressionnistes" - Monsieur Fiore n'aime pas se documenter, il ne peut pas citer le nom d'un peintre sans se tromper de courant. Ou simplement l'âge. M. Fiore est un peu malade, mais il n'aime pas entendre ça. C'est pour ça qu'il n'aime pas recevoir sa famille.

Sa vue dégradée est un enfer dans la cage d'escalier mais dans son parc, il est bien. Le simple saule-pleureur devient une grosse dame qui s'assied lamentablement sur sa robe bouffante.

L'Automne, c'est une palette de gouaches mélangées. Pelouse verte, tâches jaunes souvent, brunes parfois. Un tilleul rouille - Rouille ! Il fait rarement la différence entre les tapis de feuilles mortes si denses et les branches si basses... Les deux se chatouillent. Mais contrairement aux branches du saule, les bras du tilleul repiquent toujours vers le haut.

Voilà, sur le chemin du retour - toujours le même - un autre chien rouille court dans les feuilles jaunes.

L'Hiver. Le parc est blanc. Les branches sont nues. Mais Monsieur Fiore est toujours là, avec sa mémoire. Les silhouettes sont de plus en plus sombres. De plus en plus larges. Les joggers de plus en plus fumants. Les fumeurs de moins en moins présents.

Le Printemps le dégoûte. Les amoureux sont partout, il se souvient de ce que sa mémoire avait oublié. Les fleurs lui rapellent les moqueries de ses camarades de collège, quand ils avaient découvert ce que voulait dire Fiore. Parfois il y repense et ça le fait rire. Ca le fait rire, mais il a quand même envie de casser la gueule de ce petit Lucien Monturon, un peu plus fort que ce qu'il lui avait mis à 14 ans.

Aussi, à force de se balader dans ce parc 4 saisons par an, il a trouvé un bon sobriquet sur le nom de ce petit abruti. Il aurait aimé le placer. Qu'est-ce qu'il aurait aimé.

Ca le fait rire. Tellement fort que le parc devient encore un peu plus flou. Octobre, au pied de la grosse dame à robe rouille, il meurt de rire.

Monsieur Fiore connaît ce parc.

Ce parc connaît Monsieur Fiore.

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