20 décembre 2014 6 20 /12 /décembre /2014 00:00

Oui

Chez sa grand-mère à 5 ans, on lui parlait mais elle rêvait. Elle passait son regard sur les éléments du décor. Des chats en porcelaine, des chats en point de croix, des chats en théière, des chats en vrai. La grand-mère aimait les chats, puis la grand-mère est morte. Elle s’est dit “c’est tout?”

 

Elle était au musée, il y avait des objets dont personne ne s’était réellement servi depuis des centaines, des milliers d’années. Sous ses yeux à elle. C’est vertigineux, elle se disait. Elle demandait pour chaque objet quand il avait servi pour la dernière fois, et combien de temps il avait fallu pour le fabriquer. On ne lui répondait pas toujours. On lui demandait principalement d’être sage et de ne pas parler fort. Elle se demandait, “c’est tout?”

 

Elle apprenait la façon dont on écrit les chiffres. “C’est particulier ça”, elle s’est dit, écrire des chiffres. Peut-on chiffrer des mots? L’exercice se résumait à mettre bout-à-bout 3 wagons colorés sur lesquels étaient inscrits des chiffres en lettres, pour former un chiffre en chiffres donné dans l’énoncé de l’exercice. Donc, pour “136”, il fallait mettre d’abord le wagon “Cent”, puis le “Trente”, puis le “Six”. Ainsi pour “203” et “510”, et on pouvait aller en récréation. “C’est tout?”

 

Dans la classe, on s’était organisé pour elle. Elle n’avait plus qu’à aller au rendez-vous, flâner au centre commercial avec le garçon, se laisser offrir un Orangina, puis accepter de l’embrasser. Elle l’a appelé son amoureux pendant le reste de l’année scolaire. C’est quand l’excellence? C’est pas maintenant les choses folles? Mais non, c’était tout.

 

Quand après l’examen, elle a partagé ses réponses avec les autres, fait part de ses problématiques, on lui disait qu’elle se posait trop de questions. Qu’elle aurait encore une bonne note et que c’était tout. Elle a eu une mention, fait une classe préparatoire, puis des études brillantes. Elle se demandait si vraiment ce serait tout.

 

Sa vie commençait enfin. Elle avait un travail, un salaire, un appartement, un copain, une ville où habiter, des commerces où aller, des amis à qui raconter tout ça. Ce que les gens raisonnables appellent “une situation”.

 

Ce n’était pas tout. Il fallait qu’elle fasse des petits-enfants à ses parents. Un fils à son mari. Il est né un 14 Octobre. Ca devait la rendre heureuse, elle devait le rendre heureux. C’était tout.

 

Elle se demandait de moins en moins si elle allait être transcendée dans sa vie, car visiblement c’était tout.

 

Elle revenait en train d’Avignon, le 20 août. Son fils lui demandait ce que c’était là. Elle répondait les chevaux. Et là? Là, c’est le Rhône. Et là les camions? Oui, les camions. On va vite! Oui, on va vite. Il se demandait la distance qu’on parcourait. Et par rapport à la distance entre la maison et l’école? Et par rapport à la longueur du chemin à vélo? Elle lui demandait d’être calme et de se tenir tranquille. Le plus simple serait probablement d’arrêter de s’exprimer et d’entamer un dessin. “C’est tout?” se demandait l’enfant.

 

Elle n’osa pas lui répondre.

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