Mais De Gaulle ? Il lavait par terre De Gaulle ?
Non, il avait une femme.
Ben oui, c’est comme ça, quand on vit accompagné, l’un des accompagnateurs a la possibilité d’avoir une vie dépourvue de serpillère.
D’ailleurs enfant... Je lavais pas par terre enfant...
Non, j’avais une môman.
Et je me souviens quand il lui prenait de déplacer mes peluches, puis mes BD, puis mes jeux vidéos, puis mon chargeur d’ordinateur.
Je me souviens aussi de cette impression d’enfermement qu’on ressentait avec mon pôpa. Certaines parties de la maison nous étaient interdites. Voyant ses accès à la cuisine restreints, mon pôpa devenait un homme affamé, un lion en cage. Enfermé dehors.
Jeter un emballage, se laver les mains, manger relevait de l’expédition. Pire, on se cachait de la ménagère d’alors moins de 50 ans pour enjamber un étang d’Ajax. Cela pouvait rendre fou, au même titre que le rubik's cube.
Elle, ressortait les vieux chaussons et nous embrouillait de zones propres, zones semi-propres, zones sales et no-mans-land. Les passe-droits étaient des chaussons, des chaussettes, des chaussettes propres ou des pieds nus. Prenez tout-ça, mélangez dans un rubik's cube et vous trouverez la logique de la ménagère vue par moi et le lion en cage.
La situation devenait parfois intenable. A tel point qu’un jour, je me souviens, le lion en cage et moi-même avons fui le foyer tant que la porte principale était encore accessible.
Un déjeuner en tête à tête à 11 ans avec un lion, ça marque.
Pourquoi cette sensation d’enfermement et cette pulsion de fuite ? Je ne comprenais pas pourquoi un pôpa si sage pouvait se laisser rendre fou par un rubik's cube.
Dans une vie passionnante, il y a toujours ces moments où on lave par terre.
Aujourd’hui, je lave par terre. Dans mon 18m², il n’y a que quelques enjambées de linot. Mais comme il faut bien les laver un jour, et que dans une vie passionnante, il y a toujours ces moments où on lave par terre, alors je lave par terre aujourd’hui.
C’est assez amusant. Mais ça en fout plein les mains.
Mince, j’avais pas remarqué que ce linot était placé dans un passage stratégique. 80 cm de largeur de sol mouillés bloque l’accès à la kitchenette, la salle de bain et la porte d’entrée, donc de sortie.
Me voilà cantonné à 10m².
10 m² ou peut-être 9 où je passe de toute façon le plus clair de mon temps.
9m² ou peut-être 10 avec un ordinateur, une fenêtre, une télé, un lit. Mais savoir que je serai cantonné à ces 9,5m² pendant une durée indéterminée est inacceptable.
Pire, je ne peux m’en prendre qu’à moi-même et je ne peux pas sortir de la cage.
J’aurais préféré ne pas le savoir.
D’ailleurs la prochaine fois, je ferai en sorte de ne pas me mettre au courant.
Peut-être est-ce pour cela que, parfois, sans explication, en rentrant de l’école, du collège, du lycée, puis « des cours », je retrouvais mes peluches, mes BD, mes jeux vidéos, puis mon chargeur d’ordinateur étrangement déplacés.
Et accessoirement plus propres.
Par préservation.
Par amour.
Dans une vie passionnante, il y a toujours un moment où on résout l’équation du rubik's cube.
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid!
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait!
Le Poête est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire // L'albatros
Toutattaché qu’on est.
Au fil de la vie. Au rythme des valises, des amours et du travail. De la famille, des amis et des trousseaux de clés.
Au fil de la vie. Au bout des conversations, des nuits blanches et des anniversaires. De la naissance, du mariage et de la mort.
Au fil de la vie. Au bout de la vie. Tout seul qu’on est.
Tout seul, au bout du compte. Au gré des relations humaines, chacun est une plaque tournante unique. Unique mais toujours attachée.
Toutattaché qu’on est. A ceux qui sont attachés à nous. Toujours à partager au moins un bout de vie. Sans attaches est un fantasme.
Une seule vie. Une grille de lecture aux influences multiples, complexes.
Une expérience exclusive. Vécue seul. Construite par l'attachement.
Ah dans le ventre maternel. Là, neuf, on ne faisait qu’un.
Mais encore, on l'était.
Bonne route toutattache.
Rythme de publication : A priori à chaque shampooing. Laissons le temps au neuf de s’altérer.
Auteurs : toutattache n'est pas une page perso, la publication est ouverte à qui le veut bien, et que je veux bien.